Humanisme et agilité, fin d’un paradigme managérial ? (2)
Dans l’article précédent, nous avons vu quels étaient les ingrédients d’un nouveau paradigme managérial humaniste, visant à garantir performance, plaisir et bien-être.
Analysons, ici, en quoi une démarche agile introduit les éléments pour ce changement de paradigme.
L’agilité, levier de changement ?
D’abord, de quelle agilité parle-t-on ? Je parle de l’agilité des méthodes agilesGestion de projet agile, Véronique Messager, Eyrolles, 2007, mais sans l’agilité des personnes qui appliquent ces méthodes, il n’y a pas d’agilité possible !
Trop souvent, dans les projets de transformation que j’observe, on met en place des pratiques et des outils, mais on n’accompagne pas les personnes à exercer leur agilité, qui est souvent grippée par l’environnement.
Pourtant, cette agilité est naturelle, à la base. Grâce aux découvertes sur les neurosciences, nous savons que nous disposons tous d’une agilité cérébrale ; le cerveau est un « muscle » qu’il est possible d’entretenir et de stimuler ; cette agilité mentale peut donc nous aider à remettre en cause nos croyances, lâcher nos certitudes et adopter de nouveaux comportements.
L’agilité des personnes
Comment une personne peut-elle cultiver son agilité personnelle ?
Si une personne sait donner un sens à ce qu’elle fait, son énergie est positive : à partir du moment où elle a un objectif clair, elle est capable de déterminer les moyens pour l’atteindre.
Si cette personne opère dans un climat de confiance, elle est capable de prendre conscience de la nécessité de s’adapter, de changer ou de modifier un comportement, sans se sentir menacée ou contrainte.
Je fais souvent pratiquer à mes clients le jeu des 6 chapeaux d’Edward de Bono.
Ce jeu consiste à faire preuve d’empathie, c’est-à-dire à envisager une solution sous différents angles, en se mettant à la place des autres, à pratiquer, donc, une agilité mentale tout à fait saine pour coopérer et co-constuire.
C’est ainsi que l’on passe plus aisément de la culture du « Je » à la culture du « Nous » : passer d’un comportement autoprotecteur d’exclusion à un réflexe de connexion puis de partage.
L’agilité des équipes
Les équipes développent leur agilité tout au long du chemin qu’elles parcourent ; cette agilité est un moyen, pour elles,
- d’accepter l’incertitude et l’aventure ;
- d’adopter une démarche empirique, faite de découvertes, d’adaptation permanente et d’amélioration continue ;
- d’innover, pour résoudre leurs problèmes ;
- de corriger ce qui n’est plus adapté ;
- d’accueillir ce qui est imprévu
- d’oser prendre des risques.
L’agilité de ces équipes est possible grâce
- au lien renforcé par leur intégration
- parce qu’elles jouissent d’une liberté pour s’auto-organiser
- par la transparence de leurs échanges
Trop souvent, là aussi, je constate que les deux derniers points ne sont pas prioritaires, voire totalement ignorés :
- on ne met pas en valeur l’agilité des personnes
- on ne donne pas l’autonomie aux équipes pour s’auto-organiser
- on ne crée pas la confiance pour la transparence
L’agilité du manager
Les managers, eux-mêmes, sont invités à exercer leur agilité managériale pour se mettre au service de leurs équipes et des personnes qui les composent. (on parle de servant leadership)
Le manager humaniste exerce son agilité à deux niveaux :
Pour créer un cadre favorable à ses collaborateurs
Plutôt que d’agir sur les hommes, en exerçant motivation ou pression, il intervient sur l’environnement en privilégiant le cadre de travail et en levant les obstacles.
C’est un cadre sécurisé et simplifié où règne la confiance. La confiance coûte moins cher que le contrôle !
Il « fournit le climat et les nutriments qu’il faut, et laisse les gens pousser tout seuls. »Up the organization, Robert Towsend
En gagnant en liberté et en autonomie dans cet environnement sécurisé et simplifié, les collaborateurs exercent leur agilité et s’automotivent. Daniel H. PinkLa vérité sur ce qui nous motive, Daniel H. Pink nous explique d’ailleurs que la motivation intrinsèque (celle que chacun trouve en soi) est de loin la plus durable et la plus efficace, par rapport à celle qu’on exerce de l’extérieur par des primes, des contrôles ou des sanctions.
Pour adapter son niveau d’accompagnement à chaque collaborateur
En pratiquant ce qu’on appelle le slow management, le manager humaniste consacre du temps à ses collaborateurs. Disponible, il sait adapter son écoute à chacun :
- Pour partager la vision commune
- Pour connaître personnellement ses collaborateurs et leur permettre de développer leur propre agilité
- Pour rassurer, notamment en temps de crise
- Pour communiquer toutes les informations dont ont besoin ses collaborateurs pour s’organiser et prendre leurs décisions
- Pour avoir le courage d’être transparent
- Pour donner du feedback (nourrir en retour)
En exerçant son agilité managériale, ce manager humaniste
- s’adapte à chacun de ses collaborateurs, sa personnalité, ses besoins, ses envies, ses objectifs, ses craintes…
- Il facilite, enfin, l’agilité de son organisation
L’agilité des organisations
Comme illustration de l’agilité d’une organisation, je vous renvoie à l’expérience vécue par Vineet Nayar, qui est une illustration de la remise en cause d’un modèle managérial vieillissant .
Considérant que ce sont les collaborateurs, en lien direct ou en interaction avec les clients, qui créent de la valeur, Vineet NayarLes employés d’abord, les clients ensuite. Comment renverser les règles du management, Vineet Nayar, PDG de HCL en Inde a procédé à l’inversion de la structure pyramidale de HCL ; la Direction, y compris aux plus hauts niveaux de la pyramide est passée au service des employés ; ceux qui occupent des postes fonctionnels (RH, formation, finance…) se mettent désormais au service de ceux qui créent de la valeur.
A titre d’exemple, cela s’est traduit, chez HCL, par la mise en place des Smart Service Desk, sur le même principe que les Customer Service Desk : à chaque fois qu’un employé a un problème ou une question, il crée un dossier et a la possibilité de l’envoyer vers le bon département, avec une date limite de résolution ou de réponse.
C’est dire combien l’organisation est agile !
Les conséquences de cette transformation ont été bénéfiques à tous les niveaux : davantage de liens entre les managers fonctionnels et les employés, l’évitement de situation de blocage liée à une bureaucratie excessive, la réactivité de ceux qui créent la valeur pour le client.
Conclusion
Utopiste, me direz-vous. Totalement irréaliste, penserez-vous ?
Qui pourrait nier les nombreux avantages d’un management humaniste ? A avoir une attention mutuelle à ce que nous sommes vraiment et à ce que nous ressentons ? A obtenir davantage d’engagement actif dans notre travail ? A retrouver du plaisir au travail et dans les relations que l’on y établit ?
Nous avons vu comment naturellement l’homme est enclin :
- à comprendre le sens de ce qu’il fait,
- à aller vers les autres, à partager et échanger,
- à rechercher son autonomie ;
De plus, l’avancement des travaux sur les neurosciences nous permet de découvrir que notre cerveau est agile et qu’il dispose de ressources considérables pour accompagner cette transformation.
Les résistances se feront à tous les niveaux :
- au niveau individuel, si chacun pense que ce n’est pas possible ;
- au niveau managérial, si l’on reste persuadé du bien-fondé du seul modèle qu’on a vu fonctionner ;
- et au niveau des organisations, si la prise en compte de la dimension humaine ne reste qu’un prétexte à de beaux discours démagogiques !
C’EST POSSIBLE !
Premièrement, ce n’est pas parce que cela ne se fait pas (partout) aujourd’hui que cela ne peut pas se faire demain. Sortons du paradigme.
Deuxièmement, si nous pensons que Vineet Nayar a raison de croire que l’homme peut être la solution à la crise, chacun d’entre nous n’est-il pas porteur d’un petit bout de solution ?
C’est difficile, souvent, de croire en notre pouvoir de changer le cours des choses ; et pourtant, et pourtant…
Il appartient, à chacun, d’exprimer son authenticité, son humanisme et de faire jouer son agilité pour faire bouger les lignes ; il appartient, également, aux coachs de faire prendre conscience à nos clients de la nécessité de changer et d’en mesurer les bienfaits.
C’est un pari sur l’homme.
Dirigeants, managers, considérez vos collaborateurs comme des adultes responsables et ils se comporteront en adultes responsables ; donnez de l’attention à ce qu’ils sont, donner-leur du sens, donnez-leur de l’autonomie, créez des lieux d’échanges… ils vous le rendront bien !