L’humilité, clé pour développer son agilité
Le monde VUCA[1] qui nous entoure se caractérise par des changements rapides et fréquents, la volatilité des clients, des effets de surprise, une planification à long-terme incertaine ; la surcharge informationnelle, qui nuit à l’attention et à la concentration, rend la compréhension de notre environnement complexe ; l’apparition de situations inédites, sans précédent, favorise l’ambiguïté de l’analyse et complique la prise de décision.
Dans ces conditions, il est de plus en plus difficile de rester campé sur ses positions ou ses certitudes, devenues peut-être obsolètes.
L’expérience et les réussites passées peuvent faire perdre la capacité d’évaluer la nouveauté d’une situation. On cherche dans le contexte ce qui ressemble à ce que l’on connaît et maîtrise déjà et l’on reproduit ce qui a marché auparavant.
Et comme dans l’entreprise, on n’a pas le droit de ne pas savoir, pas le droit de se tromper, pas le droit d’être vulnérable, on joue au héros. On affiche même une grande confiance en soi, l’image d’un collaborateur hyperactif ou d’un manager surbooké, qui « gère » et qui a les solutions aux problèmes ! Notre ego est à la manœuvre pour être celui qui sait, être le meilleur, le plus réactif, le plus compétent…
Notre ego a un allié sur lequel s’appuyer : notre pilote automatique. En effet, notre cerveau, économe en énergie, a tendance à reproduire des réflexes, des automatismes, des habitudes de raisonnement, acquis par nos apprentissages et nos expériences. Par le mécanisme du biais de confirmation, il va rechercher toutes les informations qui vont dans le sens de notre pensée.
Le problème est que face à une nouvelle situation ou un problème complexe, ce mode automatique n’est pas adapté. Dans ce cas, c’est notre mode adaptatif qui doit être sollicité : reconnaître le caractère inédit et inconnu de la situation, porter un nouveau regard, explorer la nouveauté, prendre le temps d’une analyse différente, oser innover dans les réponses.
Malheureusement, si nous persistons dans nos croyances et si notre ego se sent menacé, il y a un « bug » : le mode automatique ne laisse pas la place au mode adaptatif. Notre cerveau déclenche, alors, des réactions de stress : anxiété, hostilité, jalousie, mépris, fuite, inhibition….
Prenons l’exemple de Corinne, 46 ans, qui vient d’être embauchée, pour manager une équipe de dix « jeunes » collaborateurs. Dotée d’une autorité naturelle, Corinne est manager depuis plus de dix ans, reconnue pour être entreprenante ; elle sait prendre des décisions et s’y tenir, organiser l’activité, fixer des objectifs et obtenir des résultats probants. Mais depuis deux mois et demi qu’elle est arrivée, cela ne fonctionne pas aussi bien qu’elle l’espérait avec ses collaborateurs ; et, en outre, elle a du mal à s’intégrer au Comex. Que se passe-t-il ? Forte de ses expériences passées, à son arrivée dans cette nouvelle entreprise, elle reproduit son schéma de fonctionnement habituel et applique son style managérial plutôt « directif » qui a bien marché jusque-là. Cependant, « mettre la pression pour booster », exiger transparence et réactivité de la part de ses collaborateurs, prouver qu’elle est une bonne manager, présenter un plan annuel parfait et irréprochable au Comex…. Ça ne marche plus !
Et si l’humilité était LA bonne posture pour activer plus fréquemment notre mode adaptatif ?
Une attitude plus posée pour :
- Faire preuve de sincérité et reconnaître que l’on ne sait pas ou que l’on ne sait pas là, tout de suite, face à la nouveauté et la complexité
- Reconnaître que l’on s’est peut-être trompé ou accepter de remettre en question une décision antérieure
- S’interroger sur l’adéquation de sa posture à son environnement
- Ecouter plutôt qu’imposer, pour apprendre des autres et tenir compte de leurs idées
- Partager les enseignements de ses erreurs et être réceptif aux commentaires et aux critiques constructives
- Demander à être challengé sur ses propositions
Cet état d’esprit nous permet de résister intelligemment aux automatismes ou aux réflexes « faciles ».
Cette posture d’éveil nous aide à accueillir la nouveauté, à l’explorer, à mieux la comprendre, à être créatif pour apporter des réponses innovantes à la nouvelle situation et à expérimenter, sans crainte de l’échec. Elle est essentielle, aussi, pour aborder plus sereinement et différemment des situations connues, récurrentes, qui laissent chaque fois une impression désagréable de « mal vécu ».
Reprenons le cas de Corinne que j’ai eu l’occasion de coacher. Je lui ai proposé de prendre du recul sur la façon dont elle manageait ses jeunes collaborateurs de la génération Y, puisqu’ils ont tous une trentaine d’années. J’ai utilisé la méthode SPEAR[2] (Situation, Pensées, Emotions, Actions, Résultats). Voir le tableau ci-dessous.
J’ai, dans un premier temps, demandé à Corinne de décrire une situation dans laquelle elle n’était pas satisfaite de ses échanges avec son équipe (situation vécue). Cette première étape l’a aidée à accepter, avec humilité, qu’elle avait des comportements obsolètes et inadaptés, dans ce nouveau contexte.
Je l’ai invitée, ensuite, à envisager autrement la même situation dans le futur : Corinne a sollicité son mode adaptatif et créatif pour porter un autre regard sur ses collaborateurs et imaginer des réactions différentes (alternative). Elle a expérimenté durant quelques semaines ces nouveaux comportements et a pu constater les changements autour d’elle. Elle a réussi le challenge d’être appréciée par les membres de son équipe précisément pour ses nouvelles pratiques managériales, plus adaptées au contexte actuel. Et en travaillant également sur sa posture au sein du Comex, elle accepte beaucoup mieux, à présent, les questions et remarques de ses collègues sur ses présentations.
|
|
Situation vécue |
Alternative |
Situation |
Décrire la ou les situations vécues |
Chaque fois que je réunis mon équipe pour leur présenter les objectifs et nous répartir les tâches, ils contestent ma façon de faire ; et j’ai du mal à savoir où ils en sont dans l’avancement de leur travail. |
|
Pensée(s) |
Quelles pensées cela génèrent-t-elles chez moi ? |
Ces jeunes, ils croient tout savoir ! Ils sont individualistes. C’est moi leur responsable, qui ai en plus des comptes à rendre au Comex.
|
Les jeunes ont besoin de sens ; ils s’impliquent davantage dans leur travail s’ils en connaissent la portée. Une fois qu’ils ont compris pourquoi on attend d’eux tel résultat, ils sont curieux, assez adaptables et plutôt autonomes. Je dois être moins directive. |
Emotion(s) |
Quelle émotion cela entraîne-t-il ? |
Perturbée, impatiente, agacée, crispée, mal à l’aise |
Apaisée, bienveillante, optimiste, régénérée |
Action |
Quelle action cela a engendrée ? |
Plus d’autorité de ma part, des reproches à leur encontre |
Je vais davantage les solliciter sur le « comment faire » ; je vais insister sur l’enjeu plus que sur les tâches. Je vais les encourager et les féliciter. Je vais mettre en place un management visuel collectif partagé. |
Résultat |
Pour quel résultat ? |
Globalement, peu de communication entre eux et moi, peu de motivation et d’engagement chez eux, Cela m’isole. |
Ils sont revenus vers moi pour me poser des questions. J’ai moins à les solliciter sur l’avancement de leur travail, ils sont plus spontanément transparents. Ils s’entraident davantage. |
Grâce à son humilité, grâce au temps qu’elle a pris pour elle, Corinne progresse dans son agilité individuelle et managériale.
Si vous êtes intéressé(e) par les thèmes de l’humilité, de l’intelligence adaptative (modes automatique/adaptatif), de la gestion de la surcharge mentale et émotionnelle et du stress, embarquez pour la prochaine learning expedition, avec comme première destination le Camp de base de l’agilité managériale.
[1] VUCA Volatile, Uncertain, Complex, Ambiguous
[2] Brooke Castillo, thelifecoachschool.com